Il était une fois, un comte nommé Marie-Pierre-Arthur de LUPEL qui habitait son
château d'Autrêches quand il ne séjournait pas en son hôtel particulier de
l'Avenue Montaigne à PARIS.
Riche et puissant il était de plus toujours attentif au sort des malheureux, ne
négligeant jamais une occasion de soulager la misère .
En digne fils de son père - Directeur des haras royaux - il ne souffrait pas que
l'on maltraitât les animaux, et tout particulièrement les chevaux .
Célibataire endurci, le comte n'avait qu'une passion : la chasse . Cette
passion allait lui être fatale puisqu'il expira le 17 juin 1867 des suites d'un
accident alors qu'il chassait en Forêt de Compiègne avec la Cour impériale.
L'émotion et la tristesse furent générales.
Quelques mois avant de mourir, le comte avait rédigé un testament chez Maître
Cavé, Notaire à ATTICHY, par lequel il instituait au profit des 46 communes des
cantons d'Attichy de Vic et Vassens :
une rente annuelle et perpétuelle de 2.000 francs . Cette rente devait être
distribuée, avec équité, "aux blessés, estropiés, invalides, indigents ou
incendiés sans assurance" ;
un prix annuel et perpétuel de 100 francs destiné à récompenser la personne
"qui
donnerait la preuve du meilleur coeur en soignant, nourrissant et conduisant les
chevaux".
Les 47 communes bénéficiaires de
cette ultime générosité exprimèrent leur reconnaissance ; la mémoire du comte
fut vénérée avec effusion . A Vic, par
exemple, on fit dire une messe pour le repos de
l'âme du comte d'Autrêches .
Mais hélas, le défunt comte avait deux frères qui, furieux de voir une partie de l'héritage leur
échapper, contestèrent la validité du testament . Que leur frère préférât les
pauvres et les animaux à sa noble famille n'était-ce pas la preuve de sa démence
?
Les 47 maires patientèrent six ans
jusqu'à ce que, perdant tout espoir d'arrangement amiable, ils décident de
demander à la justice de rétablir leurs droits.
Le Tribunal de Compiègne leur donna raison, mais les deux frères s'obstinèrent
en faisant
appel .
Peine perdue car le 28 février 1876, la Cour d'Appel d'Amiens confirma la
validité du testament .
Les perdants firent mine d'accepter une décision qu'ils ne pouvaient plus
contester juridiquement, mais bloquèrent toujours la situation de sorte que, seize
ans après la mort du comte, les pauvres et les amis des animaux n'avaient toujours rien reçu .
Pour vaincre la mauvaise volonté des deux frères il ne fallut pas moins d'un
arrêté des Préfets de l'Oise et de l'Aisne en juin 1883 .
Le coup fut si dur pour Marie-Alexis-Edouard, le frère aîné, qu'il en rendit l'âme en son
château du Périgord . Un accord put être trouvé avec ses héritiers en mai 1887.
Cependant, entre temps, la zizanie s'était installée entre les communes car les plus peuplées
voulaient être mieux traitées que les autres, arguant qu'elles avaient davantage
de miséreux à secourir. De plus, un différend apparut entre les municipalités et
leur avocat qui entendait recevoir 50 F de chacune des 47 communes avant de
restituer les pièces du dossier.
Il fallut encore du temps pour aplanir ces difficultés .
Toutes ces péripéties avaient mis les communes dans une situation délicate .
Après plus de 20 ans de procédures, les frais s'accumulaient alors qu'aucune
recette n'avait encore été perçue.
A titre d'exemple, Autrêches avait réglé
1.200 F pour obtenir les grosses des jugements, sans compter les frais de prise
d'hypothèques et autres. Aussi, lorsque les héritiers de Marie-Alexis-Edouard
payèrent leur dette en 1887, il ne restait plus que 36,37 F pour le bureau de
bienfaisance et 3,53 F pour la commune !
Cependant le frère survivant, Marie-Pierre-Eugène, châtelain d'Autrêches depuis
la mort de son frère continuait à résister obstinément et il fallut procéder à
une saisie-arrêt sur ses biens pour régler définitivement la question .
Aussi, ce n'est qu'en 1891, soit 24 ans après l'ouverture du testament que les fonds purent
commencer à être distribués à leurs destinataires conformément aux généreuses
intentions du bon comte d'Autrêches .